LA DÉROUTE MORALE DES EUROPÉENS, par François Leclerc

Billet invité.

Cynisme, seul ce mot convient pour qualifier les bases de l’accord intervenu tard dans la nuit à Bruxelles. Les réfugiés sont l’objet d’un deal entre l’Union européenne et la Turquie qui s’opère sur leurs dos, les autorités turques profitant au maximum de la situation. Mais les obstacles restent nombreux et l’affaire n’est pas conclue. Rendez-vous au sommet des 17 et 18 mars prochains !

Angela Merkel a été à la manœuvre, ayant préparé dimanche le sommet avec le premier ministre turc Ahmet Davutoğlu, tout en lui attribuant devant ses collègues mécontents la pérennité du plan. Au terme de celui-ci, les autorités européennes se défaussent sur le gouvernement turc et ferment les yeux sur ses dérivés autocratiques. Ils font de la Turquie d’aujourd’hui un « pays tiers sûr », afin de nier toute violation de la Convention de Genève qui protège les demandeurs d’asile ou de la directive de juin 2013 du Parlement européen. Cela sera aux tribunaux d’en juger.

Après avoir entériné dans leur communiqué final la fermeture de la Route des Balkans, les dirigeants s’autorisent à renvoyer en Turquie tous les réfugiés qui réussiraient à entrer en Grèce. En application du principe que pour chaque réfugié syrien refoulé de Grèce, parmi tous ceux qui seront dans ce cas, un autre sera admis dans un pays de l’Union européenne au départ de la Turquie. Ce qui renvoie à la mise en œuvre incertaine d’un plan de répartition des réfugiés, qui est de surcroit plafonné à 160.000 d’entre eux, dont l’application est refusée par plusieurs pays européens.

La palme de l’hypocrisie revient à Martin Schulz, le président du parlement européen, qui a déclaré « chaque mesure qui brise le modèle des passeurs, il faut la soutenir. Je ne connais pas encore le détail de ce plan, mais j’y serai favorable s’il permet de renforcer la protection des réfugiés. » François Hollande la lui dispute qui, au nom du retour ultérieur des Syriens dans leur pays, énonce que « La Turquie doit permettre de rester au plus près de la Syrie pour les réfugiés ».

Les contreparties annoncées sont politiques et financières : suppression des visas, rallonge aux trois milliards d’euros déjà accordés, accélération des négociations sur l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne…

Comment les autorités européennes vont-elles désormais pouvoir, au nom de leurs valeurs, condamner les manquements autocratiques qui se multiplient dans plusieurs pays de l’Est européen, dont la Hongrie  ? Après la mise en cause de l’État providence, voici monter celle de la démocratie, les deux allant après tout de pair. Encore bravo  !